Il y a deux ans jour pour jour…

Il ne faisait ni froid, ni chaud, mais un temps suffisamment dégueulasse pour que les potos de la rue voient de prés à quoi ressemblent l’enfer sur terre…

Ce n’est pas le froid, ni la chaleur qui sont le pire ennemi du Sans Abri, mais la flotte ! Car une fois mouillé, tu te sèches où étant donné que tu n’as pas de toit à toi sur la gueule ?…

Le « Village » du 115 Du Particulier est une initiative parmi d’autres de ce mouvement citoyen qu’est l’association 115 Du Particulier. C’est loin d’être une sinécure parce que cette initiative va à l’essentiel, sans fioriture, et répond aux deux questions qui pourrissent l’esprit de tout SDF :

Où dormir ?

Où Manger ?

Deux questions qui interdisent à n’importe quel quidam de se projeter sur autre chose que ces deux quêtes, car on parle survie là et ça prend toute la vie pour y répondre sans mode d’emploi « d’état », laissant peu de temps pour faire autre chose que de « résister » avec que dalle ! Et à la longue, ça use, ça affaiblit, ça plonge l’humain dans une détresse sans nom, ça ronge le capital « objectivité », ça finit par rogner les moindres remparts de l’imagination pour plonger assurément dans le monde du doute, l’exclusion, »l’incitoyenneté », le no futur, l’antichambre de la morgue : 6730 morts de la rue en trois ans en France…

La mort devant soi est supportable quand on peut s’en éloigner par la vie… Mais que faire, quand la vie n’a plus de droit et plus grand chose à quoi se raccrocher ?… Si tu ne savais pas définir avec justesse la misère, voilà quelques billes qui peuvent te permettre de la dessiner avec plus de précision…

Le « Village » apporte en premier lieu un toit et la gamelle, mais aussi l’hygiène, la santé et le reste… Enfin presque tous les DROITS élémentaires de nouveau à portée de main, sans obligation de courir après et ne penser qu’à se reconstruire…

La vie y est dure, spartiate, sans concession, juste à l’image de cette misère qui n’en fait aucune et à laquelle il faut pallier avec suffisamment de couilles si tu ne veux pas crever…

Mardi dernier, 7 h du mat’, je prends connaissance d’un message de notre groupe Facebook. Après deux ou trois échanges où le gars me fait comprendre qu’il n’a pas d’unité pour communiquer autrement, je lui demande son numéro pour l’appeler.

Le téléphone gémit et il y a Laurent au bout du fil. 46 ans, à la rue depuis trois mois, pas d’oseille, errant du côté de Lisieux et se cognant la tête dans la surfréquentation hivernale des centres d’hébergement d’urgence, donc les dents sur le trottoir, il est au bord de la rupture sociale…

Il y a tout à refaire pour reprendre pied dans sa life…

On en cause deux minutes, juste de quoi se mettre d’accord sur l’accueil que je lui propose : Pas de place pour l’alcool, ni pour la défonce dans notre quotidien. Sans oseille…

Et alors, tout doit s’arrêter quand on parle d’assistance à personne en danger ?

L’action sociale en France pense comme ça avec son administratif à deux balles, avec ses délégations d’état subventionnées, histoire de bien camoufler ses absences « d’humanité » par des fonds de commerce en dessous de tout, et qui entretiennent la plupart des inégalités sociales dont les vocations conduisent à une mort sociale garantie !

Nous au 115 DP, nous ne nous perdons pas dans les salamalecs, on rentre dedans en direct pour mettre les baffes là où il faut,

point barre !

8h30, Micka part du Village, Villebéon en seine et marne, direction Lisieux. Aucune caravane de prête pour accueillir, donc on pousse les murs du bureau, une caravane aménagée pour…

Ça le fera jusqu’au lendemain, le temps de se retourner…

19h45, Laurent et Micka débarquent et s’installent devant le casse croûte. Le lendemain, Laurent avait son propre chez lui… Et sans perdre de temps, après avoir fait le tour de sa situation, nous engageâmes les démarches qui vont bien pour qu’il retrouve SES DROITS.

Pas plus tard que ce matin, Laurent a été faire sa domiciliation, élément clé pour l’ouverture des droits : RSA, couverture sociale, etc… Oui, cela va prendre un certain temps pour que tout se goupille… Mais pendant ce temps là, en dehors du « Village », qui va lui donner un toit et à bouffer ?

Et là, je ne peux m’empêcher de poser cette question aux élus de la commune de Villebéon et consorts de l’administration française qui interdisent illégalement de domicilier dans la commune les résidents de notre communauté, tout en sachant que je m’adresse à un mur forgé par l’inobservation de la loi et cette volonté égoïste de priver un Sans Abri de cette inaliénable citoyenneté qui n’en reste pas moins un dû républicain !

La preuve :

Entendons le législateur qui exprime l’Accueil inconditionnel des sans abri :

Article L345-2-2 (code de l’action sociale) « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. Cet hébergement d’urgence doit lui permettre, dans des conditions d’accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l’hygiène, … » Article L345-2-3 : « Toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. » Loi de réquisition des logements vacants : Article L641-1 (code de la construction) : « Sur proposition du service municipal du logement et après avis du maire, le représentant de l’Etat dans le département peut procéder, par voie de réquisition, pour une durée maximum d’un an renouvelable, à la prise de possession partielle ou totale des locaux à usage d’habitation vacants, inoccupés ou insuffisamment occupés, en vue de les attribuer aux personnes mentionnées à l’article L. 641-2. » et tel que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme peut le traduire dans son article 25 : Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme Article 25. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. Des textes qui renvoient au cahier des charges obligeant les communes de rattachement à domicilier toute personne sans domicile stable !

Il fallait que je te le dise…

Aujourd’hui, Laurent fait partie des piliers de la communauté et est impliqué dans les permanences de l’Accueil de jour de l’Octroi.

Brann du Senon